Son malheur : avoir dit ce qu’il savait, ce qu’il comprenait et, sans pour autant en faire un modèle parfait, avoir apprécié ce qu’il reste de la laïcité et de la pensée des lumières en France, même si, ici aussi, tout se dégrade dans ce domaine comme dans tout le reste.

On aurait pu s’attendre à ce que la gauche, qui se veut héritière d’un long passé de lutte pour ces idéaux, s’indigne du traitement infligé à l’écrivain. Hélas, la droite ne manquant jamais une occasion d’invoquer la liberté telle qu’elle la conçoit, ravie de ces critiques de l’Algérie, soutient bruyamment Boualem Sansal, qui n’y peut rien. Et, évidemment, si la droite soutient, comment la gauche pourrait-elle en faire autant ? Mais il n’y a pas que cela. A bien des égards, l’Algérie, telle qu’elle est, avec sa corruption et son régime autoritaire, ne peut être critiquée sans provoquer aussitôt l’accusation d’islamophobie.

Et presque unanimement, des journalistes, des politiques, font, avant même celui qui l’attend en Algérie, le procès de Boualem Sansal. Des « Oui mais », comme pour Samuel Paty, comme pour Charlie-Hebdo, entre autres. L’auteur du Serment des Barbares, du prémonitoire 2084, d’Harragha, du Village de l’Allemand, comme aussi d’un superbe et pessimiste dialogue avec Boris Cyrulnik, L’impossible Paix en Méditerranée, n’a pas droit au statut de victime innocente.
Pourtant, lorsqu’on a eu le bonheur de lire ces livres, on y découvre un amour déchiré de son pays.

Je ne sais ce qu’il adviendra de l’écrivain. Le pire, sous une forme ou une autre. Il paie son courage intellectuel, qui manque tellement à ceux qui lui refusent leur soutien. Quant aux manifestations de la droite en sa faveur, elles ne font que lui nuire, bien évidemment. Et pour cause, car au fond, ce qu’il décrit de l’Algérie y ressemblera en France dès lors que s’accentuera le pouvoir de l’argent, l’oppression des plus pauvres, la place laissée aux cléricalismes. L’islam est combattu par la droite et l’extrême droite au nom d’une conception dévoyée de la laïcité seulement parce qu’il concurrence le catholicisme traditionnel.

Léonore