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" Dieu est-il diplomate ? "

mercredi 3 janvier 2018, par K.S.

Lorsque des propos sont pertinents – et courageux - sur la question des religions et des guerres, Penser libre ne peut que saluer leur auteur et faire en connaitre le texte. Dans sa Lettre Politique du 7 décembre dernier sur Libération, Laurent Joffrin s’interroge :

Dieu est-il diplomate ?

Ce matin sur France Inter. Nicolas Demorand interroge Aliza Bin-Noun, ambassadrice d’Israël en France, sur le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem décidé par Donald Trump. « Mais Jérusalem est notre capitale depuis trois mille ans ! », s’écrie l’ambassadrice, femme fort aimable et compétente au demeurant. Ainsi donc, trois mille ans… C’est la tradition juive, en effet, très respectable comme tant de traditions. C’est écrit dans la Bible, aucun doute : l’Éternel offre aux Hébreux la Terre promise dont Jérusalem est la ville symbole. C’est là que l’incroyant prosaïque, tout de même, tique un peu. La Bible devient-elle pour les diplomates… parole d’Évangile ? Aliza Bin-Noun n’est pas la seule à professer ce genre d’idée. Si Donald Trump a pris sa décision, c’est aussi pour complaire aux branches les plus littéralistes du protestantisme américain, les Évangélistes notamment, persuadés que le soutien à Israël et la dévotion envers Jérusalem sont des conditions sine qua non de l’entrée au paradis.

Difficile, dira-t-on, de ne pas prendre en compte le facteur religieux quand on parle de Jérusalem. Certes. Mais la Bible est-elle vraiment un manuel de géopolitique contemporaine, un guide de diplomatie moderne ? Rappelons tout de même, sans jouer au rationaliste à front bas, que la Bible n’est pas un livre d’histoire. Les spécialistes, par exemple, Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, archéologues israéliens, considèrent que tous les événements rapportés dans la Bible antérieurs à 600 avant JC, comme la captivité en Égypte, l’exode, le retour vers Canaan, sont légendaires. Aucune trace archéologique ne vient les confirmer (c’est même plutôt le contraire). Jérusalem capitale depuis trois mille ans ? C’est une légende. Un quasi-consensus s’est établi chez les experts pour tenir ces passages de la Bible pour un texte politique écrit aux temps du royaume de Juda afin de conforter la monarchie en place, qui cherchait un récit mythique destiné à donner à leur régime une épaisseur historique, un peu comme la monarchie française avait fait remonter sa généalogie à Mérovée, roi de légende sont l’existence est tout sauf avérée.

Tous les peuples ont besoin de mythes. Mais les mythes sont-ils des repères légitimes pour organiser une politique raisonnable, ici et maintenant ? Il en va de même côté musulman. L’attachement à Jérusalem tient au « voyage nocturne » du Prophète, qui serait ensuite monté au ciel guidé par l’ange Gabriel. La vérité historique de cet épisode n’étant pas tout à fait établie, peut-on s’y fier pour discuter du statut de Jérusalem, autrement que pour évoquer une autre tradition, elle aussi respectable, mais d’une solidité factuelle un peu friable ? C’est là qu’on passe du scepticisme à l’inquiétude. Si la mystique tient lieu de politique, comme le suggère l’ambassadrice dans son cri du cœur, quelle est la place pour le compromis ? Peut-on négocier avec Dieu ? S’arranger avec les écritures saintes ? Passer un compromis avec l’Éternel ou avec Allah ? Ce grand retour du spirituel dans la politique internationale porte un nom, commun aux deux univers : la guerre.

Laurent Joffrin