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Principal de collège ou imam de la République ?

lundi 5 mars 2018, par K.S.

Durant quinze ans, Bernard Ravet a été principal dans trois des collèges réputés les plus difficiles de Marseille. Soumis à l’obligation de discrétion faite à tous les fonctionnaires, y compris ceux de l’Éducation, il a dû attendre la retraite pour parler de son expérience, ce qu’il fait sous ce titre percutant, et un rien provocateur [1].

Ce qu’il raconte – faits concrets à l’appui – surprendra sans doute qui ne s’est pas rendu, même de façon occasionnelle, dans les quartiers où sont situés ces collèges nommés Édouard-Manet, Versailles et Jean-Claude-Izzo. Car il faudrait beaucoup de naïveté pour imaginer que l’espace des établissements scolaires resterait paisiblement sanctuarisé, à l’abri de l’islamisme, comme du reste d’autres fléaux (drogue, violence, etc.), les élèves venant de milieux souvent très défavorisés, de quartiers laissés peu ou prou à l’abandon, avec un urbanisme démoralisant. Des conditions de vie, voire de survie, dont se nourrit l’islamisme par le biais de l’aide aux devoirs, d’animations auprès des jeunes au sein des collèges ou à leur périphérie, de soutien social et financier des familles en difficulté, de mosquées et d’imams intégristes. L’infiltration peut aller jusqu’au recrutement de jeunes surveillants connaissant bien le quartier, et inspirant confiance – jusqu’au jour où l’on découvre qu’ils endoctrinent jour après jour les jeunes cerveaux.

En classe, les enseignants sont de plus en plus démunis face à la contestation des élèves sur des sujets sensibles tels que l’égalité entre les hommes et les femmes, le darwinisme, la Shoah. Problèmes du même ordre à la piscine, à la cantine, lors des sorties scolaires.

Et pourtant, quotidiennement, Bernard Ravet, passionné de l’éducation, a fait tout ce qu’il lui était possible pour maintenir la laïcité et l’esprit républicain – pour reprendre ses termes – dans ces collèges. Maintenir le cap, expliquer, tant aux parents qu’aux adolescents, poser des limites, susciter des vocations, supporter sans faiblir pressions, intimidations et dégradations de matériel.

Tout en poursuivant ses efforts, il a régulièrement alerté ses supérieurs hiérarchiques, académie et ministère de l’Éducation, mais aussi les syndicats et les politiques – y compris à gauche. Sans succès. Débrouillez-vous, tel fut le message sous-jacent au silence ou aux discours rassurants. Paradoxalement, seuls les commissariats de quartier répondent à ses appels au secours lors de faits graves.

Oserai-je dire que je n’ai pas été vraiment surprise ? Ayant – il y a pas mal d’années - arpenté ces quartiers difficiles, en tant que travailleuse sociale, j’y avais vu se dessiner peu à peu ce qui apparaît de façon brutale aujourd’hui. Le mal était en germe. Des adolescentes changeaient leur façon de s’habiller – pour ne pas être ennuyées disaient-elles. Finie donc la liberté de montrer ses cheveux, ses jambes, ses bras… Les grands, ou petits frères, surveillaient la longueur des jupes, les horaires de sortie, la tenue dans la rue, chose que n’avaient jamais faite à ce degré les pères ni les mères, lesquelles étant du reste astreintes au même contrôle. Soulever la question auprès des autorités institutionnelles valait indifférence ou même réprobation : soit c’était culturel - c’était leur affaire à ces gens-là -, soit c’était religieux, et donc digne de respect. Les origines bien-pensantes du service social marquaient encore bien les esprits. Et l’égalité hommes/femmes, les droits des individus, la liberté de pensée et d’expression n’étaient pas vraiment la préoccupation principale, alors que religion et traditions pouvaient concourir au maintien de la paix sociale, pensait-on en haut lieu.

Aujourd’hui, pour lutter contre l’intrusion de l’islam au sein de l’enseignement public et théoriquement laïque, Bernard Ravet se rallie à l’idée du Concordat en arguant du pragmatisme. Je ne pourrai le suivre sur ce terrain. Il ne peut y avoir de véritable laïcité sans une ferme séparation du religieux et du civil au sein de l’espace public. Et pour cela, évidemment, il faudrait mettre un terme à toutes les concessions qui ont été faites aux cléricaux, subventions sans réel contrôle des établissements scolaires confessionnels, dialogue avec des « représentants » qui ne devraient être que des délégués des cultes, etc… Pour ma part je ne verrais aucun inconvénient par ailleurs à ce que l’entretien des édifices religieux d’avant 1905, assuré par les communes, les départements et l’État qui en sont les propriétaires, soit assorti d’un loyer pour l’usage de ces lieux par les fidèles.

Mais ce n’est pas dans l’air du temps…

SKS


[1Bernard Ravet, Principal de collège ou imam de la République ?, Ed. Kero, août 2017, 240 p.