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Rencontres Méditerranéennes 10 et 11 octobre 2008
Albert Camus et les libertaires
(un compte rendu par Léonore)
jeudi 16 octobre 2008, par
Vendredi 10 et samedi 11 octobre 2008, au Château de Lourmarin (Vaucluse) ont eu lieu les
Journées internationales avec pour thème cette année « Le don de la liberté : Albert Camus et les libertaires ».
(une exposition a précédé ces journées - voir dans la même rubrique le reportage du 23 août dernier)
Neuf interventions sur ces deux jours ont permis de mieux cerner les amitiés et les affinités libertaires d’Albert Camus.
[1]
Citons ici la présentation par Raforum du livre « Albert Camus et les libertaires » [2]tout récemment paru [3] qui représente une bonne synthèse des sujets traités lors de ces Journées camusiennes :
« Pendant les années 1940 et 1950, Camus entretint des sentiments amicaux et des liens avec des responsables de journaux anarchistes de pays francophones ou d’autres. Parmi eux, Rirette Maîtrejean, qui fut coéditrice du journal « l’Anarchie » ,et qui écrira plus tard pour « Témoins » ,Maurice Joyeux et Maurice Laisant du « Monde libertaire » ,Jean-Paul Samson et Robert Proix de la revue culturelle et antimilitariste « Témoins » ,Pierre Monatte et André Rosmer de « la Révolution prolétarienne » Louis Lecoin de « Défense de l’homme » et de « Liberté », Gaston Leval et Georges Fontenis du « Libertaire », Giovanna Berneri de « Volontà » (en Italie) et José Ester Borràs de « Solidaridad Obrera" (en Espagne). Camus avait en outre des contacts avec des journaux anarcho-syndicalistes suédois (« Arbetaren »), allemand (« Die freie Gesellschaft ») et latino-américain (« Reconstruir » en Argentine). »
D’un exposé à l’autre se précisait le portrait d’un « copain » c’est-à-dire non d’un « camarade » impliqué directement dans les organisations anarchistes mais d’un ami, d’un proche, sur lequel on peut compter. Et ce soutien, cette solidarité se manifestèrent sans faille tout au long du cheminement commun [4] de Camus avec les libertaires : lettres, articles, interventions, prises de parole de Camus en faveur des victimes des totalitarismes stalinien ou franquiste, des objecteurs et des pacifistes.
Marianne Enckell rappela que l’expression « Camus, un copain » fut employée successivement par André Prudhommeaux et par Louis Mercier.
Sylvain Boulouque présenta les réseaux qui se constituèrent autour d’Albert Camus, ses affinités, ses amitiés.
Pour prolonger l’exposé d’Antonio Bresolin, « Camus et ses amis libertaires italiens » on pourra lire les actes des rencontres méditerranéennes de 2005, « Albert Camus et l’Italie » [5] A noter qu’ Andrea Caffi, vieux militant anarchiste, né en Russie de parents immigrés, adhéra aux GLI. Il devint employé chez Gallimard et sa seule œuvre « Critique de la violence » fut influencée par Camus.
Progreso Marin souligna les liens de Camus avec l’Espagne (qui lui fut chère dès la répression des Asturies en 1934) et les anarchistes espagnols, pour lesquels il représenta une sorte de « grand frère » et un « companero ». Le Malentendu fut la première pièce jouée par le Groupe Ibéria. Progreso Marin rappela que cette révolution sociale espagnole fut refusée par les staliniens parce que non conforme au modèle bolchevik. Dans la philosophie libertaire, Camus pourrait être qualifié d’individualiste altruiste. [6]
Les Groupes de Liaison internationale (GLI) furent présentés par Philippe Vanney qui cita « La Crise de l’Homme » [7] : il s’agissait du rôle que peuvent jouer de petits groupes dont les membres acceptent de payer de leur personne. Ainsi, pendant un peu plus d’un an, à partir de la fin 1948, Camus anima un groupe de réflexion et de solidarité aux personnes victimes de tous les totalitarismes, leur apportant une aide concrète (outils, argent, vêtements, etc.) et de témoigner ainsi de la résistance des individus face à toute forme d’oppression.
Concernant la revue Témoins, on pourra retrouver les points traités par Charles Jacquier en se rendant directement sur Témoins (1953 — 1967) [8]
La provocation footballistique de Wally Rosell déclencha un débat animé où malheureusement pointa un instant le risque d’une orthodoxie camusienne, qui serait une trahison.
La (bonne) surprise vint de Séverine Gaspari. Cette jeune universitaire remplaçait au pied levé Vittorio Giacopini, écrivain romain. Elle proposa une lecture très pénétrante de L’Homme révolté et des réactions de Breton, puis de Sartre, lesquelles entraînèrent un rejet durable de la gauche sous influence communiste et bien au-delà, et firent perdre à Camus son audience intellectuelle. Mais aujourd’hui l’œuvre de Camus est davantage lue que celle de Sartre, et elle éclaire la problématique de notre temps. L’homme révolté contredit la thèse chère à Sartre de l’intellectuel engagé : l’intellectuel est à égalité avec les autres hommes. Ce qui ne peut réjouir les universitaires patentés. Séverine Gaspari mit en lumière la critique de la fin justifiée par les moyens : cette fin ne tient que si l’on se met en dehors de l’histoire.
Sans aucun doute d’autres personnes présentes à ces journées en feraient un compte rendu différent. Mais l’œuvre et les engagements d’Albert Camus sont reçus par chaque individu selon sa sensibilité. La révolte, l’éthique, la solidarité et la liberté de pensée de Camus, depuis mes premières lectures de La Peste, de Noces, d’Actuelles, de L’Homme révolté, entre autres, continuent à combattre ma vision très pessimiste des humains, et c’est beaucoup.
Léonore
[1] Successivement : « Réseaux et affinités : les amitiés libertaires d’Albert Camus » par Sylvain BOULOUQUE (Université de Reims) ; « Le choix des camarades. Camus et ses amis libertaires italiens : Caffi, Chiaramonte, Silone » par Alessandro BRESOLIN, écrivain (Rome) ; « Camus et les libertaires espagnols » par Progreso MARIN, écrivain (Toulouse) ; « La réception de l’œuvre de Camus par les anarchistes dans les pays anglophones et germanophones » par Lou MARIN, écrivain, traducteur et éditeur (Marseille) ; « Albert Camus, un copain » par Marianne ENCKELL, Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA - Lausanne) ; « Albert Camus, les anarchistes et le football ? » par Wally ROSELL, éditeur et homme de radio (Paris) ; « Albert Camus et les Groupes de liaison internationale (GLI) : une liberté en action » par Philippe VANNEY, Université Dokkyo (Japon) ; « Albert Camus et la revue Témoins » par Charles JACQUIER, responsable de la collection « Mémoires sociales » chez Agone (Marseille) ; et « Quelque chose de pourri au royaume de la liberté : L’Homme révolté d’Albert Camus » par Séverine GASPARI, Agrégée de lettres (Nîmes).
[3] Albert Camus et les libertaires – écrits rassemblés par Lou Marin », Editions Egrégores, Marseille, septembre 2008, 15 €, Hypérion-diffusion
[4] voir "Albert Camus, compagnon de doute" par Fabrice MAGNONE
[6] En complément, voir « La Pensée politique d’Albert Camus » par Progreso Marin, 5/6/2006, sur http://cnt-ait.info/article.php3?id...
[7] Titre de la conférence donnée par Albert Camus au McMillin Theater de l’université de Columbia (New-York) le 28 mars 1946 . Texte intégral sur :http://www.decroissance.info/La-cri...
[8] voir www.la-presse-anarchiste.net