C’est une histoire bien banale, celle d’une jeune Nigériane. Sa famille est très pauvre, elle est prête à tout pour l’aider. Par relations, elle apprend qu’une commerçante cherche des employées pour son magasin. Elle arrive à payer son billet d’avion. A Paris, un monsieur très bien la récupère et la transporte en voiture jusqu’à Bordeaux. Et là… Vous m’avez comprise : pas plus de magasin que de Vichy-Célestins dans une barrique de Saint-Emilion. L’honorable commerçante n’est qu’une mère maquerelle de bas étage, une Madame Claude au petit pied. Et la jeune Nigériane devient fille de joie, comme disent « ces vaches de bourgeois ». Un client dingue la poignarde ; mais à l’hôpital, elle se tait, car on l’a menacée de mort si elle parlait. Finalement, elle parvient à s’évader de cet enfer grâce à une association et un foyer la recueille avec son enfant. Elle n’a pas vingt ans.
Mes chers camarades masculins, ce qui suit vous est adressé. Il y a forcément parmi vous des usagers de la prostitution. Je fais appel à votre conscience : quelles que soient vos difficultés, votre solitude, votre misère affective, souvent réelle, réfléchissez avant d’en faire porter le fardeau à plus misérable que vous. La prostitution est très rarement un état choisi. Vous pouvez choisir, vous. Au moins, tâchez d’éviter les plus mauvais choix et de ne pas prêter les mains à la pire infamie. C’est le contraire des jeux olympiques : ici, l’important est de ne pas participer.
Une très belle pièce diffusée récemment sur France-Culture, Les Hirondelles de Kaboul, d’après le roman de l’écrivain algérien Yasmina Khadra, s’ouvre sur la lapidation d’une prostituée. Combien d’anciens clients parmi les jeteurs de pierres ? J’avoue ma préférence pour un cousin éloigné, qui se fit mal voir en déclarant que les prostituées entreraient les premières dans le royaume de Dieu. Les vertueux qui chassèrent de leur église William Booth, fondateur de l’Armée du Salut, avaient dû mal lire. On constate tout de même que, même si l’attitude est différente, aucune religion ne prône l’abolition générale, ce qui pourrait se résumer par cette formule :
« Des putes, il en faut, mais pas mes filles. »
Vous voyez qu’en fait on n’était pas si loin de la question laïque. On y est même en plein, car, si l’on admet que la laïcité doit aller de pair avec le progrès humain et social, on ne peut plus fermer les yeux sur l’une des plus graves violations de la dignité humaine. N’en déplaise à l’ami saint Augustin, qui disait à peu près qu’il faut des bordels comme il faut des lieux d’aisance, la prostitution fait honte à l’ensemble du corps social. Elle est surtout le plus beau fleuron du système patriarcal ; Et je ne pardonnerai jamais à Proudhon d’avoir dit que « la femme ne peut être que ménagère ou courtisane ».
Sophie Tordjman