Dire non en 1939
K.S.

De 1939 à 1947, Jean-René Saulière devient André Arru, quitte Bordeaux pour Marseille, où il forme un petit groupe anarchiste clandestin en lien avec (mais non inclus dans) la Résistance.

Article mis en ligne le 5 avril 2007
dernière modification le 6 février 2018

« En 1938 nous sommes une bonne douzaine du groupe décidés à ne pas répondre à l’ordre de mobilisation en cas de guerre. En 39, lors de la mobilisation, nous nous retrouvons deux. Trois jours après je suis tout seul. Mon copain est parti voir sa femme et par voie de conséquence rejoindre son régiment. Tant pis pour lui, tant mieux pour moi, on se débrouille toujours mieux tout seul » (Témoignage d’André Arru paru dans le bulletin du CIRA n°21/22).

[*Refuser de répondre à l’ordre de mobilisation représentait, en temps de guerre, un risque majeur.
Contrairement à certains objecteurs de conscience, André refusait de se « laisser prendre ». Cette insoumission l’était dans tous les sens du terme. C’était DIRE NON :
 à l’acte de tuer ;
 à l’emprise possessive de l’Etat sur les Individus en y opposant cette affirmation, titre d’une des conférences de Sébastien Faure, « Ton corps est à toi », bien évidemment applicable aussi à d’autres situations, dont la maîtrise de la procréation ;
 à l’utilisation de la violence institutionnalisée pour résoudre des conflits (André étendait ce refus à la violence comme moyen révolutionnaire) ;
 à la fuite devant leurs responsabilités des différentes puissances de l’échiquier politique mondial du moment ;
 au silence imposé aux réfractaires à l’ordre moral, et donc aux anarchistes.*]

Après s’être caché à Bordeaux pendant quelques semaines, Jean-René décide de partir, sous une fausse identité. Un camarade réformé lui fournit un livret militaire, et c’est avec ce seul document, sous le nom d’André ARRU, qu’il vient se fixer à Marseille. Il trouve une gérance de station d’essence qu’il transforme en réparation de cycles quand le carburant vient à manquer. Métier qu’il apprend par la pratique. Son atelier du quartier Saint-Loup héberge aussi les réunions du groupe anarchiste clandestin qu’il a réussi à former, composé, outre de Voline (portrait à droite), qui vivait alors à Marseille, de camarades venus de divers coins d’Europe comme de France, mais tous ayant dû fuir un régime de dictature. Fabriquant de faux papiers, il vient en aide aux pourchassés mais aussi fait paraître des tracts, des affiches, une brochure (« Les Coupables ») affirmant les points de vue libertaires alors qu’à cette époque s’opposent, face au régime de Vichy et aux occupants nazis, gaullistes et communistes. Cette indépendance vaudra à André et à son ami Chauvet d’être laissés dans les murs de la prison Chave où ils étaient détenus après leur arrestation pour « activité extrémiste » lors d’une évasion organisée par des résistants communistes « parce qu’ils n’étaient pas des patriotes ». Ils seront de la deuxième évasion qui les libérera de la prison d’Aix.

Jean-René Saulière, alias André Arru (à droite sur la photo), va séjourner à Toulouse, où vivent des amis très proches ; sous une nouvelle identité, il y trouve un logement, du travail, et continue d’œuvrer pour les idées libertaires. Entre 1944 et 1945, il est le représentant national de SIA (Solidarité Internationale Antifasciste), et secrétaire du groupe anarchiste.

Il revient à Marseille en 1945, et reprend la réparation de cycles.
En 1947, à l’issue d’un procès du Tribunal Militaire, jugé pour son insoumission, il est acquitté en raison de son aide aux personnes pourchassées, et reprend son identité. Il sera de nouveau, pour son activité professionnelle, Jean-René Saulière, mais gardera, dans son engagement de militant, son nom de clandestinité, André ARRU.

[(Cette période a fait l’objet de témoignages détaillés parus dans les Bulletins du C.I.R.A. numéro 21/22, daté de septembre 1984, intitulé " Les Anarchistes et la Résistance ", et numéro 23/24, daté du 1er semestre1985, intitulé " Les Anarchistes dans le Résistance ". Voir également "Histoire des Groupes Francs des Bouches-du-Rhône" par Madeleine Baudoin, PUF, 1962, pages 113 à 120.)]