Philippe Delerm
Maintenant, foutez-moi la paix !

par K.S.

Il y a quelques mois, une controverse a agité les milieux littéraires et les médias : dans ses mémoires, le chanteur Pierre Perret disait avoir rencontré Paul Léautaud, ce qui était contesté… Inutile ici d’entrer dans ce débat, qui aura eu au moins le mérite de faire parler à nouveau de Léautaud. 2009 voit aussi la réédition en format poche (folio) du livre de Philippe Delerm « Maintenant, foutez-moi la paix ! » [1].

Léautaud publia, outre quelques recueils de poèmes, Le petit ami, In memoriam, et Amours. Cependant, il faut 19 volumes dans l’édition du Mercure de France pour le Journal Littéraire et 2 pour les chroniques théâtrales de Maurice Boissard. Aussi bien l’auteur que le personnage éveillent la curiosité, l’attendrissement, l’agacement, l’admiration, rarement l’indifférence. C’est une personnalité complexe, et peut-être fait-elle écho à la propre complexité de chacun des lecteurs de Léautaud : ainsi Philippe Delerm, avec à son actif une trentaine d’essais ou de romans garde-t-il sur sa table de chevet Proust et Léautaud.

« Maintenant, foutez-moi la paix ! » déclara quelques heures avant de mourir Léautaud à l’infirmière qui lui apportait sa tisane… Ce furent ses derniers mots. Ils correspondent bien à leur auteur. Delerm ne fait pas une biographie, mais évoque le personnage par divers points de vue, avec une sympathie lucide, sans indulgence, dont du reste Léautaud n’aurait eu que faire. « Quand j’ai commencé à lire et à relire Léautaud, j’étais déjà écrivain. Bien persuadé qu’il aurait détesté ce que j’écris, et cette sévérité virtuelle n’est pas sans rapport avec mon engouement. » Delerm définit bien le style de Léautaud : « Sujet, verbe, complément : une écriture svelte, pas le moindre empâtement, l’ironie par-dessus, la rêverie et l’émotion tout en dedans. »

Léautaud est inclassable. Ses opinions politiques varient, ses réflexions sur ses compagnes peuvent révolter, et au nom de son amour des bêtes a été créé un prix obtenu par Brigitte Bardot… Mais il écrit : « J’ai toujours aimé les êtres originaux, bizarres, chimériques, singuliers. Ils sont pour moi le sel de la vie, autant qu’en sont l’horreur les gens qui ressemblent à tout le monde. J’aime leur fantaisie, leur folie. Je les suis quand je les rencontre dans la rue, je cherche à me renseigner sur eux, je voudrais les connaître et les fréquenter, je n’ai que dégoût pour ceux qui se retournent et rient sur leur passage. Ils ont encore pour me plaire qu’ils sont souvent très bons, bien qu’étant toujours très pauvres. N’est-ce pas curieux, cet assemblage si fréquent de l’originalité et de la bonté, alors que les gens qui se ressemblent par milliers sont, dans leur médiocrité, en général si égoïstes et si malfaisants ? Je rattache encore cela à tout ce qui sépare des êtres qui sont libres d’autres qui ne sont que des esclaves. S’habiller à sa guise, agir et vivre de même, sans souci des sots qui s’étonnent ou qui se moquent, c’est encore, dans un petit domaine, le signe d’un esprit libre. »

Notre ami André Arru avait découvert le Journal littéraire, avec un mélange d’irritation et de sentiment d’empathie. Dans une note jointe à ses écrits autobiographiques, il confie ceci : « J’avais hâte le soir ou dans la journée de me retrouver avec lui, penser avec lui, m’indigner avec lui, être content de lui ou hausser les épaules de commisération. » Il note aussi cette citation : « Les canailles et les imbéciles sont innombrables, et c’est une grande tristesse à éprouver, que plus on vieillit, plus on s’aperçoit qu’ils sont nombreux. » (page 287, Tome III).

On pourra lire sur le site "Les Archives André Arru" l’intégralité de ce texte titré « Léautaud, mon ami » : http://www.raforum.info/archivesarr...

SKS