Il y a des institutions qui donnent un sentiment d’éternité et d’infini. Infini dans la bêtise, éternité dans la haine de la vie. Ces institutions se donnent la main depuis des siècles, même si de ci, de là, quelques isolés se distinguent et s’écartent de la tendance générale. Autrefois, on parlait de l’alliance du sabre et du goupillon. Il y a encore des goupillons, paraît-il, mais les sabres ont été remplacés par une panoplie bien plus perfectionnée. Encore que l’arme blanche reste en usage dans certaines régions du monde.
Ces derniers jours, c’est l’une de ces institutions qui s’est exprimée, par la voix de quelques-uns de ses haut-gradés, au sujet des réfugiés afghans.
Vous pensiez sans doute, comme moi et beaucoup d’autres, que l’Afghanistan était un pays où régnait l’insécurité la plus totale, avec sa cohorte de meurtres et d’atrocités. Vous pensiez que les habitants qui montraient la plus légère réticence à entrer dans le système des talibans, voire même les simples paysans des montagnes qui avaient le tort de se trouver là au mauvais moment, risquaient leur vie, et qu’il fallait étudier avec bienveillance et respect leur demande de droit d’asile, ou simplement les laisser tenter leur chance de venir dans un pays plus paisible.
Mais au moment où plusieurs associations demandent, une nouvelle fois, la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la première guerre mondiale, ce que les gouvernements d’autres pays d’Europe ont déjà fait, des militaires s’expriment dans ces termes au sujet de l’expulsion du territoire national, le 21 octobre dernier, de trois Afghans en situation irrégulière :
Au nom de l’association de soutien à l’armée française (ASAF), le général Claude Le Borgne : "Alors que nos soldats risquent leur peau en Afghanistan, non pas, comme on le répète bêtement, pour notre propre défense, mais pour aider les Afghans à mettre leurs trublions à la raison et à construire un État qui se tienne, nous devrions ouvrir nos portes à ceux d’entre eux qui refusent les risques d’une guerre autochtone. Nous voici complices de leur désertion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ceux qui se réfugient chez nous désertent le combat qu’il leur faudrait mener."
Le général Jean Salvan : "ces jeunes gens sont venus chez nous pour sauver leur peau, et bénéficier de conditions de vie avantageuses, plutôt que de mener à nos côtés avec les leurs un combat qui a un sens".
Le général Emmanuel de Ricchouftz, sur son blog, [1] :" A cette période de leur histoire où tous les bras vaillants sont plus que nécessaires pour édifier la nation afghane, que ce soit en portant les armes contre l’ennemi ou en se lançant à corps perdu dans la reconstruction physique de ce pays marqué par plus de trente années de conflit, ces volontaires au départ ne sont que des déserteurs qui s’ignorent. Il est en effet plus facile d’assumer le risque de « passer » en geignant sur son sort accepté que de répondre « présent » à la défense de sa patrie. Il est proprement injustifiable que nos soldats et ceux de la coalition engagés dans une guerre rude contre le terrorisme donnent leur vie pour ceux-là même qui fuient leurs responsabilités".
Allez : le peloton pour les déserteurs !
Plus facile de « passer » ? Combien de tentatives se paient de la vie, sans compter les conditions inhumaines du transit et de l’attente…
Mais dans l’esprit de l’armée, la mort des combattants ne compte que dans les statistiques.
1914-1918, 2009, presque un siècle, toujours la même cruauté !
Tout compte fait, l’éternelle muette gagnerait à se taire.
SKS