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Les affaires du Seigneur sont les affaires

Nestor Potkine

mardi 26 juin 2007

La Harvard Business School est si célèbre que, pour une entreprise, faire l’objet d’une de ses études pratiques (« case-studies ») constitue un grand honneur. L’une d’entre elles vient d’être consacrée, selon The Economist, à la Willow Creek Community Church, de Chicago. Church ?Le mot qui signifie « église » ?

Exact. En effet, cette église propose non seulement des restaurants par douzaines, littéralement, mais en outre des terrains de basket, des cafés, des écrans vidéos en veux-tu en voilà, un parking de 4000 places, des garderies en abondance, un vaste espace réservé aux adolescents et lui aussi constellé d’écrans vidéos, une pharmacie, des banques, etc. Ca marche. Ca marche tellement bien que cette année, pour une église similaire, à Houston, le nombre de… pratiquants ? clients ? consommateurs ? a dépassé les 30 000 par semaine. Ca marche tellement bien qu’un mot fait rage, celui de « mega-church », attribué à toute congrégation qui réussit à dépasser le seuil de 2000 personnes par service.

[*Il n’y a pas de secret. Ces églises ont simplement décidé de se mettre au goût du jour, et d’appliquer les techniques du management commercial.
Première étape, on commence par une étude de marché. On s’applique à déterminer ce qui détourne le chrétien mou de base de devenir le chrétien dur de pointe. On découvre que les croix, les vitraux, le simili-gothique, les nefs glaciales inquiètent. On découvre que les messes interminables, les services monotones, l’absence de mouvement, de dépense physique, de participation ennuient. On découvre que les églises normales ne proposent aucune aide pratique.*]

Deuxième étape, on donne au consommateur ce qu’il veut. On change les églises en salles de concert, de concert de rock, qu’on chauffe ou qu’on rafraîchit, c’est selon. Voire, en simili-stades. En tout cas les lumières, la sono, les écrans géants, rien ne ferait honte aux Rolling Stones. Quant aux services, les grands écrans et le grand nombre de participants y permettent à chacun de crier, de danser, de lever les bras, de pleurer, ou d’en faire beaucoup moins, c’est selon. Selon que l’on est un novice dont le sens du ridicule demeure aigu, ou que l’on est un habitué, qui achète ses glucides à McDonald’s et sa chaleur humaine à McCommunauté. Et on rend service ; l’aide pratique va du prêt de matériel médical au conseil en immobilier, en passant par la formation aux tests d’embauche (on vous explique à quoi il faut vous attendre) et les conseillers fiscaux. N’oublions pas les classes d’arts martiaux, oecuméniquement appelés « la Voie du guerrier chrétien », les groupes d’entraide sur la sexualité du chrétien et, il va sans dire, les omniprésents « cercle de l’homme d’affaires chrétien » « séminaire sur Dieu et le marché » « groupe d’étude des valeurs chrétiennes dans la vie professionnelle » « stage d’entraînement à l’acceptation de la richesse » (je n’invente rien). On appelle ça des « hooks » des hameçons, qui permettent d’aller à la pêche aux âmes. Ce qui évoque la sinistre secte des « enfants de Dieu » qui pratiquait le « flirty fishing » une technique délicate consistant à inviter, un peu vivement, les disciples jeunes et féminines à faire l’amour avec les indécis.
Le tout se fonde bien entendu sur des techniques de management explicites, des « stratégies en sept points », des « nos cinq valeurs ; excellence, service, écoute, performance, croissance. » etc. Et on revend ça aux petites églises qui veulent grandir. Willow Creek Church compte 11 000 autres églises dans l’association qui diffuse ses techniques. Pastors.com est un site internet visité par 100 000 pasteurs, entre autres choses pour la bibliothèque de sermons disponibles. Exactement comme dans la galaxie New Age, une large part des revenus des principaux escrocs vient du désir des petits escrocs d’apprendre comment augmenter les leurs.

[(On sait bien que depuis Calvin et Zwingli, le protestantisme n’a jamais hésité à proclamer que les richesses sont le signe de l’élection de Dieu. Mais le protestantisme américain n’a pas hésité, avec exactitude d’ailleurs, à décrire les apôtres comme « douze petits hommes d’affaires créateurs d’une organisation qui a conquis le monde » et les paraboles de Jésus comme « les meilleures publicités de tous les temps ».)]

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