Dans ce petit livre sont réunis les témoignages de quelques allergique à l’armée, qui se sont vus convoqués aux « trois jours » - qui n’en font plus qu’un et demi - un temps largement suffisant pour leur ôter toute velléité de céder aux invites des militaires en charge de les évaluer.
Le statut des objecteurs est récent, et largement discriminatoire, d’une durée double de celle du service militaire (deux ans au lieu d’un), et incluant une première année au service d’ l’ONF.
Donc que faire ? Devenir insoumis ? Ou opter pour la réforme…
A 19, 20, 25 ou 27 ans, on est généralement bien portant, l’examen médical au programme des trois jours est complet et sourcilleux. Reste l’exemption pour problème psychologique, psychiatrique, inadaptation à la vie en collectivité…
Chacun des signataires des témoignages a choisi de tenter sa chance sur ce terrain, et a réussi. Dans la grande majorité des cas, le rôle a été longuement préparé et documenté.
Les récits sont drôles, on sourit, et même on rit, devant l’incroyable absurdité de la chose militaire.
Mais ce n’est pas exactement pour cela que ces jeunes gens ont choisi de ne pas « faire l’armée » et « devenir un homme, un vrai » (alcool, tabac, filles etc…). Non, ils ont refusé d’obéir, de marcher au pas, d’apprendre à se servir d’armes et de tuer. Car au-delà du folklore entendu dans les conversations de comptoir, vantant la rigolade franchouillarde, l’armée enseigne comment donner la mort.
Entre les témoignages, des poèmes, dont un de Gaston Couté, et en entrée un beau texte « Cabu était contre » (signé par Jean-Luc Porquet) dont voici des extraits :
« Quand le 1er mars 1958 le jeune Cabu, 20 ans, se retrouve dans un bateau pour Oran, en compagnie de centaines d’autres appelés, il n’a jamais fait de politique. Il n’a pas lu La question de Henri Alleg. Il ne connaît rien à la guerre d’Algérie – appelée « opération de pacification ». C’est juste un joyeux luron qui est devenu une petite vedette de Châlons-sue-Marne grâce à son coup de crayon… […]
Quand, plus de deux ans plus tard, le 6 juin 1960 il est sur le bateau qui le ramène en France, il pleure de joie. Mais c’est un autre homme. […] Il a vu de près la connerie militaire, le racisme anti « bougnoules », les beuveries, l’horreur. Il a vu la fumée des villages incendiés la nuit. Il a ramassé les cadavres de fellaghas dans les champs après les « opérations ». Il a entendu les hurlements des torturés de sa caserne. […] Il n’a, heureusement, jamais eu à tirer sur personne. Il a compris que cette « opération de pacification » menée par 350 000 appelés était une guerre coloniale et criminelle. Il est devenu antimilitariste. Il ne pense pas que l’armée soit un mal nécessaire. Il pense que la nature même de l’organisation militaire mène à la guerre. Il est pour le désarmement unilatéral. Il est pacifiste. Il est non violent. C’est pour la vie. »
Léonore
P4 Les Pignons noirs, Editions de La Pigne, novembre 2023.