Refuser le service militaire prend différentes formes :

Refus patriote et privilégié

Le refus des pilotes de s’engager, pendant le mouvement contre la réforme de la justice en 2023, était une manière de démontrer leur position, et jouer de leur renommée. C’était un refus patriote, voulant « sauver la démocratie ». Refus qui sert à la cause israélienne mais pas à la lutte contre l’apartheid, ni à la levée du blocus de Gaza. Le mouvement social de 2023, même s’il avait majoritairement comme but de sauver les institutions coloniales, a permis de prendre la rue et de grossir le mouvement Refuznik. À en croire les témoignages de Tal Mitsnik, qui dit s’y être formé politiquement, c’est grâce aux manifestations qu’il a pu faire le parallèle entre l’occupation agressive et meurtrière en Cisjordanie et le rôle de l’armée.
Esquiver l’entrée et retarder le service
Refuser l’armée, c’est aussi tout faire pour ne pas y entrer. Pendant des années, les tests sanguins positifs aux substances étaient une excuse pour ne pas engager le ou la soldatE. Ainsi de nombreuses personnes consommaient quelques heures avant les tests. De même, la fragilité psychologique, soumise à tests, est un facteur de rejet de l’armée.
Congés et renvoi
Refuser l’armée, cela peut être aussi s’engager, et se blesser pour être renvoyé à la maison sous avis médical.

Objecteur, objectrice de conscience

Refuser par pacifisme est possible mais est sujet à jugement et emprisonnement. La peine est reconductible puisqu’après les quelques mois en prison, la personne reçoit de nouveau une notification de service. Refusant à nouveau, la détention est renouvelée. Des témoignages racontent que lors de l’entrevue, l’interlocuteur-interlocutrice crie sur la Refuznik. Si la personne répond, alors elle n’est pas pacifiste, et n’est pas reconnue comme telle. Il est possible de refuser l’armée mais de ne pas le faire publiquement : cela évite les harcèlements et les conséquences professionnelles et sociales. Les personnes qui utilisent cette action de refus comme action de communication politique sont entouréEs, par leurs familles ou par des collectifs comme Yesh Gvul puis Mesarvot.

« Je ne tire pas, je n’enfante pas, ainsi je trahis ma nation » - une lutte indissociable du féminisme

« Lo Yora ! Veh Lo Yoledet ! Be Ami, Ani Bogedet ! »
Le sionisme, système qui nécessite une armée pour exister et protéger la nation, a besoin d’enfants qui s’engagent à prendre les armes pour le protéger. Les féministes antimilitaristes doutent donc de la possibilité de faire des enfants, si ceux-ci deviendront de la chair à canon ou des meurtriers. Une personne qui refuse est insultée de « traitre à la nation ». Une femme*, qui n’enfante pas, est facilement aussi unE « traitre à son genre ».

C’est une lutte féministe, car les femmes font l’armée. Les LGBTQIA ont longtemps été très harceléEs à l’armée, avant l’effort de propagande nommée pinkwashing [1] qui a permis de porter l’image du gay-et-lesbienne-patriotes.

La lutte contre le pinkwashing et la lutte antimilitariste sont intrinsèquement liés.
Dans les faits, l’homophobie est très présente en Israël. En outre, l’armée coloniale harcèle la communauté LGBTQIA palestinienne, entre autre par messagerie de rencontre, en menaçant après chantage (photos intimes, etc.) de révéler leur expression de genre à leur entourage s’ils/elles n’offrent pas d’informations sur les résistances palestiniennes à Tsahal.

La Pride de Tel-Aviv-Jaffa en Juin 2023 a vu, avec le RadicalBlock, un grand cortège judéo-arabe contre l’apartheid, y liant directement la lutte contre la gentrification de la vieille ville, où la population palestinienne était encore présente, et où l’expression de genre divergent pouvait trouver sa place jusqu’à lors. La Pride de Haïfa a vu une marche palestinienne LGBTQIA très forte. L’association AlQaws et ASWAT militent depuis des années.

Il y a plusieurs semaines, le compte @queersinpalestine a lancé un manifeste de libération de la Palestine, qui a trouvé écho mondialement.

« Ni officier, ni tankiste, mais Refuznike et féministe ! »

Ainsi, en signifiant que refuser l’armée est une action féministe, le mouvement se protège d’une part du pinkwashing, et d’autre part inclut la lutte des violences faites aux femmes* et la lutte contre le patriarcat au plus large sens : le modèle sioniste est un modèle patriarcal et autoritaire. Le fait d’inclure des femmes, et désormais, depuis peu d’années, des LGBTQIA+ à l’armée, participe au combat de l’État contre les luttes sociétales et pro-palestiniennes. Cela permet au pouvoir de s’insinuer et noyauter le mouvement. Le site du collectif New Profil, association féministe anti-militariste fondée en 1998, source la militarisation de la société et se bat pour la démilitarisation et la fin des discriminations envers les minorités et les Refuznik, en proposant entre autre des ateliers et accompagnement.

« Une génération entière exige de dormir ! »

Ce slogan, ’historique’, est un détournement du slogan « une génération entière exige la paix », qui était une ligne utilisée dans les années 1990 (le camp de Ytzkhak Rabbin) annonçant que la division politique se situait entre « la gauche pour la paix et la droite pour la guerre ». Et que par là-même, la gauche était le courant de la jeunesse, et donc du futur.

Ce détournement démontre donc que, au-delà du discours simpliste de « la paix maintenant », il s’agit d’un système.
Car, on peut se demander : la « paix pour qui » ? Pour tous et toutes ? Jusqu’à l’égalité des droits et contre l’apartheid ? Ou alors dans le confort de l’occupant, qui ne veut pas plus de « bain de sang » ? C’est le système qu’il nous faut remettre en cause. Un système qui fait mal à la tête. Qui empêche de dormir. Qui fatigue, stresse, maintient dans un cauchemar éveillé. Qui pousse à être toujours prêt, sur le qui-vive, efficace. Un vrai soldat. Un vrai homme. Ce slogan est central, et très important dans le mouvement de jeunesse, qui donne toute sa force à une idée organique plutôt que argumentaire : il faut cesser les guerres et expéditions coloniales, car cela empêche le repos, nécessaire pour toute vie. Le syndrome post-traumatique et les comportements violents ou suicidaires sont courants après l’armée.

Déserter l’armée, c’est aussi refuser ’d’être violent’. Et ce n’est pas anodin.
C’est aussi une manière de replacer le narratif de la violence dans le comportement du dominant, et non du dominé. Ainsi, sans passer son temps à débattre sur « la légitimité ou non de l’opprimé à utiliser la violence » et si « faire des otages » est légitime, ou « jusqu’à quel point un israélien est un civil ou un soldat pour justifier de sa mort » — débat paralysant. Ici la question de la violence est centrée directement sur la source du problème : pour arrêter le « cycle de la violence », ou le « conflit », il faut admettre l’occupation. Autrement dit, sans contrôle militarisé du territoire, les bergers ne seraient pas entassés dans des camps de réfugiés, et la génération d’après ne prendraient pas les armes.

Déserter l’armée, mais servir la communauté.
Déserter le service à la société de l’État nation mais servir la construction d’un Commun basé sur le consentement, l’écoute, les besoins communautaires élargis, respectant le paysage. Le mouvement anti-militariste est pour ainsi dire inscrit dans une réflexion totale sur les fondements de la société à refaire.

Servir à rien, ou comment servir au mieux l’humanité.
La paresse, comme une volonté radicale de changer le monde. Les lieux de la Palestine, et l’art de vivre, de profiter de la vie, le temps millénaire, aux habitudes qui deviennent des traditions, encouragent la contemplation active. Le temps de la vie ralentit dans ces étendues, arides ou fertiles. Une dissonance abyssale s’installe à qui veut l’entendre, entre le pâturage rythmé par les saisons et le colonialisme agressif aux bâtiments contemporains. Entre les horizons des collines et le mur de béton entourant les ghettos. La caricature du bergerE palestinienNe et du bulldozer est cinématographique.

Faire la guerre, devient un ressenti organique contre-nature.

« Nous mourons, mais sans avoir servi » : l’individu comme force agissante sur le collectif

Ce slogan, utilisé avant le 7 octobre mais aussi publiquement depuis, vient affirmer une réalité. Oui, nous allons tous mourir. Cessons donc d’agiter la mort comme moteur électoral. Servir à l’armée, c’est chercher la mort. En la donnant plutôt qu’en la subissant. Nous sommes du camp de l’esquive, le camp de la vie tant qu’on le pourra. Il ne s’agit pas du pacifisme moral (où donner la mort est mal) mais du pacifisme du pouvoir agissant. La résilience palestinienne montre la voie. Tenir, sous dictature, c’est aussi aller à contre courant de ses choix d’armes. Nous le voyons au Kurdistan iranien, où, malgré la possession d’armes, le peuple a choisi de ne pas les utiliser massivement (mouvement Femme Vie Liberté 2023), tout en continuant de se battre.

Remettre en question l’éthno-nationalisme.
Se dégager de l’obéissance à l’État, c’est remettre en question sa place d’individu dans l’application de ses besoins. Ainsi, en refusant l’armée, refuser la présence de l’État dans le commandement de la vie individuelle n’est plus un idéal, mais une expérience pratiquée. Une habitude pratiquée par ailleurs par les communautés bergères palestiniennes, qui, en coordination de familles, se partageaient le territoire avant le monopole bureaucratique colonial. Remettre en question l’ethno-nationalisme juif, basé sur des faits bibliques, est plus qu’une position politique, et loin d’être une posture : c’est un fait de cohabitation avec la population locale. S’il est vrai que les explications de refus divergent (admettre 1967 comme une erreur mais ne pas parler de 1948, refuser l’armée de dictature mais se battre pour une démocratie...), mêlant sionistes de gauches et décoloniauxLEs anti-sionistes, il n’en reste que la pratique, elle, nourrit le courant décolonial et la fraternité de lutte commune avec les PalestinienNes.

Faire présence en Cisjordanie avec les communautés bergères contre les expulsions.
Des groupes d’activistes participent en parallèle à faire présence dans des territoires harcelés par des colons suprémacistes et l’armée. Ces agresseurs brûlent les tentes, entrent dans les grottes pour y casser les affaires des habitantEs, tuent les troupeaux ou les font fuir.
En passant du temps avec les communautés locales, des liens de lutte se sont créés. Ici, l’appel filmé d’une Refuznik en décembre 2023, présente en solidarité Cisjordanie : « je veux que les gens du monde sachent le lexique génocidaire qui est utilisé par le gouvernement extrémiste israélien ».

Pacifique, mais défenseurSe de territoire La Jeunesse Des Collines נוער הגבעות est un groupe de suprémacistes racistes pratiquants, jeunes, arrivant parfois à cheval ou en Jeep, et ayant leurs propres troupeaux de chèvres. Ils désirent installer des campements juifs sur les lieux d’habitation et pâturages palestiniens. L’exemple de Massafer Yatta est parlant. Ces jeunes fascistes sont majoritairement armés, et depuis le 7 octobre, la plupart ont été « enrôlés », inclus dans les forces de Tsahal, et donc légitimes pour tirer. Avant octobre, ces personnes étaient refusées à l’armée pour beaucoup, pour cause « d’extrémisme ». Les activistes filment les harceleurs et marchent près d’eux, utilisant leurs privilèges israéliens, sans jamais « se toucher ». Cela demande une grande force d’esprit donc, de continuer à travailler la stratégie du nombre, et de ne pas se laisser tenter par une défense et riposte physique contre ces harceleurs, pour éviter une escalade, qui sera protégée par l’armée coloniale. Des groupes palestiniens documentent de même ces luttes.

« Les parents pleurent, les enfants s’enfuient de l’armée, et vous recommencez »

La scène musicale, de la pop, au punk, en passant par le raï-synthé-90’s, a toujours été un espace d’expression poétique non pas d’indignation, mais de proposition, de contre projet. Le « rien faire », revient dans de nombreuses chansons, sous couvert d’habitude méditerranéenne (le café clope, sieste, sourire, famille), ou de résilience face à la corruption d’un gouvernement après l’autre. Du milieu punk au milieu techno, se réunir et consommer de l’alcool ou des produits a toujours été une manière de se retrouver autour des marges encore possibles, composer et partager des écrits. Le milieu techno-électro a été gentrifié, et le public s’est élargi. Le « voyage après l’armée » permet aux jeunes sortant de consommer de la cocaïne et autres en Thaïlande ou Amérique du Sud. Au retour, la scène électro trouve de nouveaux consommateurices, bien moins dissidentEs.
Le punk a toujours été un lieu d’expression direct.

נכי נאצה - סולחה עם החמאס
מתי יפוצצו עוד קניון
מתי יפוצצו את הבורסה בתל אביב
מתי יפוצצו את השרתון, הבימה
תחנות הטלוויזיה והכבלים
« Quand est-ce qu’on verra explosés, Des Hypermarchés, La bourse de TelAviv, Le gouvernement, La scène, Les chaînes de télévision  », 1997, Nekhei Naatza, Un pardon avec le Hamas
הרחקת יונים - בצבא
לא רוצה לקבל ציון לשבח
לא רוצה להשתתף בטבח
לא רוצה להיות גיבור מלחמה
לא רוצה למות למען המדינה
« Je ne veux pas recevoir de félicitations, Je ne veux pas participer au massacre, Je ne veux pas être un héros de guerre, Je ne veux pas mourir pour le pays », 2001, Harkhakat Yonim, A l’armée

Refuser l’armée, ce n’est pas être en dehors de la société au final. C’est faire partie de la société décoloniale. Qui regroupe des millions d’indiviuEs : palestinienNes pour la majorité.

Sources

1. MESARVOT (“nous refusons”, au féminin)
Association qui accompagne les personnes refusant le service militaire. Fondé en 2014
https://mesarvot.wixsite.com/mesarvot/. @mesarvot. Ont besoin d’un soutien financier
2. NEW PROFIL
Mouvement féministe anti-militariste, sources, données, éducation.
https://newprofile.org/en/. @newprofil_il
3. YESH GVUL ("il y a une limite/frontière)
fondé en 1982 accompagnant les refus militaires. https://www.yesh-gvul.org.il/english.
4. NOAR NEGET DICTATURA (“jeunes contre la dictature”)
@noar_neged_dictatura2023.
Pendant le mouvement social contre la réforme judiciaire l’an passé, un mouvement de jeunesse (dont est issu Tal Mitnick) a appelé à refuser l’armée. “Nous ne servirons pas l’armée d’occupation”.
5. RADICAL BLOC TEL AVIV
@radical.bloc.tlv. Bloc de manifestations et actions de blocages. Contre l’occupation. Contre l’apartheid. Pour l’égalité pour tous et toutes de la mer au Jourdain.
En soutien aux prisonnierEs palestinienNEs
6. SOUTIEN AUX PRISONNIER.ES
Free Jonathan Pollak. @free_jonathan_pollak
Free all political prisoners (palestinienNEs et dissidentEs israelienNEs)
7. ZOCHROT
https://www.zochrot.org/welcome/index/en. Judéo-arabe. Sensibiliser les israéliens à la Nakba : lutter pour le droit au retour des réfugiéEs palestinienNEs. @zochrot
8. ANARCHISTES CONTRE LE MUR
Mouvement des années 2000-2010 contre le mur, manifestations communes toutes les semaines, et actions co-jointes régulières de destruction du mur et barbelés.
https://awalls.org/
9. ARCHIVES graphiques, tracts, flyers, en hébreu et anglais / années 1970-2000
https://alllies.org/wp-content/uplo...
10. Site de documentation, vidéos, manifestations, du mouvement de 2018 « La Marche du Retour », pendant lequel tous les jours, des palestinienNes marchaient sur la frontière. Des décoloniaux juifves attendaient de l’autre côté. https://returnsolidarity.wordpress.....

Note

https://www.workersinpalestine.org/
https://www.radioalhara.net/
https://www.972mag.com/
https://imeu.org/
https://justseeds.org/
Notes
[1] Le pinkwashing est une appellation donnée à l’effort d’Israël de faire de Tel Aviv une capitale gay de la méditerranée et du monde, en accusant les pays musulmans, et ainsi les palestinienNEs, d’être moins progressistes, et d’être violents, homophobes. Tout comme le femonationalisme, qui utilise l’excuse du féminisme à des fins islamophobes, xénophobes, c’est un courant réactionnaire.